Tristesse et beauté est le dernier livre de Kawabata, qui se tua en 1972, deux ans après la mort de son ami et disciple Mishima. Le récit nous fait participer à la vie d’un couple de femmes dont la plus âgée, Otoko, fut autrefois séduite par l’écrivain Oki, puis abandonnée par lui, alors qu’elle avait mis au monde un enfant qui ne devait pas vivre. La plus jeune, Keiko, disciple et amante d’Otoko, dont elle admire la peinture, décide de venger son amie, même si cette déconvenue date maintenant d’il y a une vingtaine d’années. C’est à l’histoire de cette vengeance que Kawabata nous convie.
Etrange sujet : une rancune à l’origine tellement ancienne que toute jalousie rétrospective semblerait devoir être assourdie ; mais, avec Kawabata, il s’agit toujours de remonter vers l’antérieur, de voyager à rebours, vers le lieu des premières coupures, des premiers abandons, là où le Mal a eu lieu pour la première fois – un mal inoubliable, puisqu’il s’est accompagné d’une mort d’enfant. Otoko a failli en devenir folle.
Les obsessions de l’auteur
Tout ce qu’Etiemble écrivait à propos du Kyoto de Kawabata dans Comment lire un roman japonais s’applique ici ; on y retrouve la même importance accordée aux œuvres d’art du passé, la même horreur de la pollution inséparable du présent : ainsi ce lac Biwa, dont les eaux tranquilles sont désormais sillonnées de canots automobiles. Sur ces thèmes qui se rattachent au temps – la préoccupation majeure de Kawabata, comme l’érotisme était celle de Tanizaki – se greffent d’autres obsessions déjà rencontrées chez lui.
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